Dès -931 Av JC
Un peu de légende
 

LE MYTHE FONDATEUR DE SICHEM 

Théâtre de la rupture entre les Royaumes de Juda et d’Israël en – 931, la ville de SICHEM devient la capitale de Jéroboam. Les textes citent aussi SAMARIA succédant à SICHEM en tant que la dernière et la plus importante capitale du Royaume d’Israël. Le roi Omri la construisit sur le territoire de SEMAR. Installée sur le sommet d’une colline, elle permettait une défense aisée contre les Phéniciens et surplombait la route principale de Jérusalem à Gallilée. La cité a été reconstruite et consolidée plusieurs fois par les descendants de Omri jusqu’à ce que Sargon II la captura en 721 av. JC.

Critiqués dans l’ancien testament, les habitants de cette contrée étaient condamnés pour leur arrogance, leur irrespect, leurs mauvais traitements des pauvres et leur peu d’intérêt  pour Yahvé.

Elle fut détruite en 128 av. JC.  Relevée par Vespasien en 72 av. JC, après la guerre juive de 66-70, elle est reconstruite non loin de son emplacement premier et baptisée Flavia Néapolis. Aujourd’hui, petit village à côté de Naplouse, en Cisjordanie.

 Dans l’ancien testament, on stipule que le premier traitement de paix y aurait été signé (livre de Josué (24, 1-2a 15-17 18b)) :

Josué réunit toutes les tribus d’Israël à Sichem. Puis il appela les anciens d’Israël avec les chefs, les juges et les commissaires. Ensemble, ils se présentèrent devant Dieu.

Josué dit alors à son peuple : « s’il ne vous plaît pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd’hui, qui vous voulez servir. Les dieux que vos pères servaient au-delà de l’Euphrate, ou les dieux des Amorites dont vous habitez le pays. Moi et les miens, nous voulons servir le Seigneur ».

Le peuple répondit : « Plutôt mourir que d’abandonner le Seigneur notre Dieu qui nous a fait monter, nous et nos pères du pays d’Egypte, cette maison d’esclavage. C’est lui qui sous nos yeux, a opéré tous ces grands prodiges et nous a protégés tout au long  du chemin que nous avons parcouru, chez tous les peuples au milieu desquels nous sommes passés. Nous aussi nous voulons servir le seigneur car c’est lui notre Dieu ».

Dans la Bible de Jérusalem – Genèse 34 (texte ci-dessous), SICHEM est le fils d’Hamor, prince de Sichem, qui viola Dina, la fille de Jacob et fut tué par les frères de celle-ci, Siméon et Lévi.

 Jacob voulant réaffirmer sa légitimité territoriale et son droit d’aînesse entame une lutte contre Esaü. Après le combat de Jacob et d’Esau près du fleuve Jaboq, Jacob, blessé au nerf sciatique et à la hanche,  est rebaptisé Israël, ce qui signifie « que Dieu se montre fort ». L’histoire mentionne ici un don d’Esaü que Jacob accepte comme réconciliation.

Arrivé le moment de reprendre la route, Esau voudrait que tous ensembles, ils marchent vers son pays. Jacob qui n’est pas très rassuré sur les intentions de son frère, préfère rester autonome. Ainsi, bien que réconciliés, les deux frères, presque symboliquement jumeaux, se séparent. Et tandis qu’Esau retourne en Edom, Jacob et ses proches se dirigent vers Souccoth (« huttes ») dans la vallée du Jourdain où ils construisent des maisons et des huttes pour le bétail. Après quoi, la caravane poursuit sa route en direction de Sichem, en Canaan, où Jacob achète des mains du prince local, Hamor, un champ où il érige un autel qu’il baptise du nom d’El, Dieu d’Israël.

Le livre de la Genèse rapporte l’histoire des violences subies par Dina, la fille de Jacob et Léa, et des conséquences qui en découlèrent. C’est ici l’amalgame entre l’histoire d’une famille et d’antiques traditions relatives aux rapports entre Israélites et Sichemites qui ne parvinrent pas à trouver de modus vivendi pacifique et à instaurer une cohabitation satisfaisante : c’est l’exemple de l’échec israélite dans la conquête de Canaan.

Dina fut enlevée et violée par un certain Sichem, fils de Hamor, prince du pays, de toute évidence, figure éponyme des populations locales. En fait, Sichem l’aimait réellement et il manifestait le souhait de l’épouser. C’est pourquoi son père Hamor se présenta devant Jacob pour négocier un accord matrimonial. Mais les fils du patriarche, Siméon et Lévi,  arrivés un peu plus tard s’indignèrent de cela et s’opposèrent à l’union. Face à leur hostilité, Hamor proposa même une alliance entre leurs populations respectives et offrit aux Israélites l’hospitalité et même le droit de prendre pour épouses des femmes du lieu. Les frères de Dinah n’avaient nullement l’intention de pardonner et ils posèrent des conditions très dures au déroulement des noces : Sichem, devra en effet, subir la circoncision et en même temps que lui, tous les habitants mâles de son peuple. Le véritable objectif de la manœuvre étant naturellement de rendre les adversaires. Hamor et Sichem acceptèrent néanmoins et annoncèrent à leur peuple qu’il fallait agir de la sorte, que les Israélites avaient des intentions pacifiques et qu’une cohabitation serait alors possible. Mieux, ils mettraient leurs biens en commun et deviendraient un seul peuple. On procéda à la circoncision générale mais quelques jours plus tard, alors que les Sichemites souffraient encore des suites de l’opération, Siméon et Lévi entrèrent dans la ville et sans trouver la moindre opposition, tuèrent tous les hommes.

 

Genèse 34 :

1.Dina, la fille que Léa avait donnée à Jacob, sortit pour voir les filles du pays.

2.Sichem, le fils de Hamor le Hivvite, prince du pays, l’ayant enlevée, coucha avec elle et la viola.

3.Son cœur s’attacha à Dina, fille de Jacob, il eut de l’amour pour la jeune fille et il parla à son cœur.

4.Sichem parla ainsi à son père Hamor : prends-moi celle-ci pour femme ;

5.Jacob avait appris qu’il avait déshonoré sa fille Dina, comme ses fils étaient au champ avec son troupeau, il garda le silence jusqu’à leur retour.

6.Hamor, le père de Sichem, se rendit chez Jacob pour parler.

7.Lorsque les fils de Jacob revinrent des champs et apprirent cela, ces hommes furent indignés et entrèrent en grand courroux de ce qu’il avait commis une infamie en Israël couchant avec la fille de Jacob : cela ne doit pas se faire ;

8.Hamor leur parla ainsi : Mon fils Sichem est épris de votre fille, veuillez la lui donner pour femme.

9.Alliez vous à nous : vous nous donnerez vos filles et vous prendrez les nôtres pour vous.

10.Vous demeurerez avec nous et le pays vous sera ouvert. Vous pourrez y habiter, y circuler, vous y établir.

11.Sichem dit au père et aux frères de la jeune fille : que je trouve grâce à vos yeux et je vous donnerai ce que vous me demanderez 

12.Imposez-moi une grosse somme, comme prix et comme présent, je payerai autant que vous le voulez mais donnez-moi la jeune fille pour femme 

13.les fils de Jacob répondirent avec ruse à Sichem et à son père, parce que Sichem avait déshonoré Dina

14.Ils leur dirent : nous ne pouvons pas faire une chose comme donner notre sœur à un homme incirconcis car c’est un déshonneur chez nous

15.Nous ne vous donnerons notre consentement qu’à cette condition : c’est que vous deveniez comme nous et faites circoncire tous vos mâles

16.Alors nous vous donnerons nos filles et nous prendrons les vôtres pour nous, nous demeurerons avec vous et formerons un seul peuple

17.Mais si vous ne nous écoutez pas, touchant la circoncision, nous prendrons Dina et partirons

18.Leurs paroles plurent à Hamor et à Sichem, fils de Hamor

19.Le jeune homme n’hésita pas à faire la chose car il était épris de la fille de Jacob, or, il était considéré de toute la famille.

20.Hamor et son fils Sichem allèrent à la porte de leur ville et parlèrent ainsi aux hommes de leur ville :

21.Ces gens-là sont bien intentionnés : qu’ils demeurent avec nous dans le pays, ils y circuleront, le pays sera ouvert à eux dans toute son étendue, nous prendrons leurs filles pour femmes et nous leur donnerons nos filles 

22.Mais ces gens ne consentiront à demeurer avec nous et à former un seul peuple qu’à cette condition : c’est que nos mâles soient circoncis comme ils le sont eux-mêmes

23.Leurs troupeaux, leurs biens, tout leur bétail ne seront avec nous ? Donnons-leur seulement notre consentement et qu’ils demeurent avec nous

24.Hamor et son fils Sichem furent écoutés par tous ceux qui franchissaient la porte de la ville, tous les mâles se firent circoncire

25.Or ,le troisième jour, tandis qu’ils étaient souffrants, les fils de Jacob Siméon et Lévi, les frères de Dina, prirent chacun leur épée et marchèrent sans opposition contre eux. Ils tuèrent tous les mâles

26.ils passèrent au fil de l’épée Hamor et son fils Sichem, ils enlevèrent Dina de la maison de Sichem et partirent

27.Les autres fils de Jacob assaillirent les blessés et pillèrent la ville parce qu’on avait déshonoré leur sœur

28.Ils prirent le petit net le gros bétail et leurs ânes, ce qui était dans la bille et ce qui était aux champs 

29.ils ravirent tous leurs biens, tous leurs enfants et ils pillèrent tout ce qu’il y avait dans les maisons

30.Jacob dit à Siméon et Lévi : Vous m’avez mis dans une mauvaise posture en me rendant odieux aux habitants du pays, les Cananées et les Perizzites. J’ai peu d’hommes, ils se rassembleront contremoi, me vaincront et je serai banni de ma maison

31.Mais ils répliquèrent : devait-on laisser traiter notre sœur comme une prostituée ?

 Cette histoire a inspiré bien des personnes. Ainsi, Jacques du Hamel a présenté une tragédie sur ce thème en 1600 à Rouen au théâtre français. De nombreux articles y sont consacrés sous des titres évocateurs : « Anthropologie de l’honneur : la mésaventure de Sichem », « Sichem ravisseur ou la circoncision des incirconcis »,…  Par ailleurs, sur le pectoral du grand prêtre d’Israël, les pierres gravées des noms des tribus (la sardoine gravée de RUBEN (apôtre Pierre), l’émeraude et l’améthyste gravées de JUDA (apôtre Jacques) et le saphir gravé de LEVI (apôtre Jean), les 3 fils de Léa) sont en tête des trois rangées de 4 (elles symbolisent les 1é tribus d’Israël, les 12 apôtres, les 12 pierres précieuses). Cela, pour se rappeler que ce sont là les 3 aînés de Jacob-Israël et que JUDE et SIMEON sont exclus par la malédiction de l’affaire de Sichem. Ainsi, rien n’est laissé au hasard dans le choix des apôtres.

Jean Daniel Macchi s’est intéressé au mythe dans ce qu’il évoque du thème  « l’amour et la violence » (voir ci-après).

 

Amour et violence de J.D. Macchi, Genève

En Cahier biblique 39 – Volume XCIX – n° 4 – Septembre 2000

« Le texte de la Genèse 34 nous raconte l’histoire d’une jeune fille autour de laquelle se tisse un drame horrible. Je vous invite à enquêter avec moi sur les crimes perpétrés autour de cette jeune femme. Nous chercherons à élucider la nature de ces délits, les mobiles qui les expliquent et qui sait, peut-être découvrirons-nous que le coupable n’est pas celui qu’on croit. Nous ne pourrons pas relever les empreintes digitales sur les glaives des assaillants, ni procéder à une analyse génétique du sperme de l’amant. Nos outils seront ceux qu’offre une lecture attentive du témoignage biblique, la seule trace qui reste de cette affaire. Il nous faudra cependant être prudent car se cachent dans ce texte fondateur et mythique des interprétations divergentes du sens à donner aux événements.

 

Suspect numéro 1 : le violeur de Dina 

Comme souvent, dans les bons polars, une théorie semble immédiatement s’imposer. L’histoire pourrait se résumer de la manière suivante : Dina, la fille de Jacob, sort de l’environnement familial pour rencontrer les filles du pays. Et malheureusement, tombe sur Sichem, prince du pays, qui la viole. Sichem, s’étant "amouraché" d’elle,  demande à son père de la demander en mariage. Cependant, les choses se compliquent lorsque les fils de Jacob exige que Sichem et son peuple soient circoncis afin de permettre ce mariage, mais aussi d’ouvrir la possibilité d’échanges matrimoniaux plus larges. Sichem et Hamor convainquent les habitants de leur ville de s’exécuter. Alors que ceux-ci souffrent de l’opération, Siméon et Lévi entrent dans la cité et massacrent Sichem, Hamor et tous les mâles. Les autres fils de Jacob parachèvent le pillage. Le récit se termine par un dialogue entre Jacob, Siméon et Lévi. Le patriarche accuse ses fils de lui porter malheur en le rendant odieux aux yeux des gens du pays, ce qui ne manquera pas de les conduire à se venger. Siméon et Lévi répondent : « peut-on traiter notre sœur comme une prostituée ? » et Dieu de protéger Jacob.

Cette façon d'élire le récit impute toute la responsabilité de cette affaire dramatique à Sichem, le « violeur » de Dina. En dépit du massacre qu’ils commettent, Siméon et Lévi paraissent assez sympathiques. Après tout, ce sont eux qui ont puni le « violeur ». Ils ont aussi renoncé aux propositions alléchantes de Hamor, celle d’entretenir des relations commerciales profitables avec leurs voisins et celle de pouvoir engranger la lourde dot que le père du jeune marié était prêt à payer.La violence de Siméon et Lévi pourrait ainsi être le signe d’un suprême attachement à leur sœur, pour qui ils sont prêts à se battre, même contre l’avis de leur père Jacob, pour ne pas la « vendre » à son violeur. Siméon et Lévi ne seraient-ils pas les précurseurs d’un certain féminisme ? Prêts à sanctionner le plus durement possible le crime odieux qu’est le viol d’une femme ; prêts à refuser à tout prix que l’on utilise une femme comme monnaie d’échange entre les clans ?

 

Le forfait de Sichem  

Cette façon de lire le récit a l’avantage d’être simple et « politiquement correct » mais les Sherlock Holmes de la lecture du texte biblique ne doivent pas se laisser éblouir par une théorie trop facile. Il s’agira de sortir notre loupe afin d’examiner en détail les indices discordants figurant dans le récit.

 

Y a-t-il eu viol ?

Pour savoir si aux versets 2 et 3, le texte parle véritablement d’un viol, il faut s’interroger sur un difficile problème de traduction. Le premier aspect à prendre en compte tient au fait que le verset 3 insiste sur l’amour  de Sichem pour Dina : « Son être s’attacha à Dina la fille de Jacob. Il aima la jeune fille et parla au coeur de la jeune fille ».On remarque que ce verset parle clairement d’un amour réciproque puisque Sichem aime Dina et « parle à son cœur ».

Le précédent verset 2 décrit l’action incriminée de la façon suivante : « Sichem, fils de Hamor le Hivite chef du pays, la vit » puis on trouve une série de trois verbes : il la prit, coucha avec elle et la viola ». Le verbe « lqh » lorsqu’il figure dans un contexte de relations sexuelles est très fréquent et ne présente aucune connotation de contrainte. Ile en va de même pour le deuxième verbe « shkb », coucher avec elle.

Pour le troisième verbe que la TOB traduit « violer », les choses sont plus compliquées. Il s’agit du verbe « nh » utilisé au mode de conjugaison piel. La traduction de la TOB  peut éventuellement se justifier puisque ce verbe apparaît le plus souvent dans le champ sémantique de la violence. Mais pour savoir quel sens ce verbe revêt ici, il faut examiner sa signification dans les textes bibliques parlant de relations sexuelles. Sur ce point, son usage en Dt 22, 23-27. est remarquable. En effet, ce texte de loi discute les peines infligées en cas de relations sexuelles illégitimes d’une fiancée. Pour schématiser, si cette relation a eu lieu en ville, la jeune femme doit être lapidée avec l’amant car elle n’a pas été contrainte (comme elle pouvait être entendue, c’est qu’elle n’a pas crié). Si au contraire, l’acte a eu lieu à la campagne, seul le mâle coupable doit être lapidé car il a commis un viol (elle a pu crier sans être entendue). Les autres usages de ce verbe « nh » dans des contextes analogues corroborent le fait qu’il doit plutôt être compris comme « humilier » ou « déshonorer ». Il désigne plutôt une relation sexuelle honteuse car socialement illégitime,sans pour autant impliquer que celle-ci se déroule dans la violence. Il faut ajouter qu’en Gn 34, ce verbe permet d’introduire la problématique du rétablissement de la légitimité de la relation des deux jeunes gens par le mariage.

On pourrait même se demander (mais les fondements étymologiques sont moins assurés que ceux avancés pour justifier la proposition qui précède) si ce verbe ne pourrait pas être compris dans un sens proche de « il cohabita avec elle » ou « il lui fit l’amour ». En effet, cette forme pourrait dériver d’une racine différente (« wn »)pouvant signifier « habiter ».

Les observations que nous venons d’effectuer devraient nous amener à modifier le débat. La question n’est pas de savoir si Sichem a violé Dina, il ne semble pas l’avoir fait et en tout cas, le texte ne le lui reproche pas. Par contre, il est clair que la relation extra-conjugale de Sichem et Dina n’est pas considérée par le texte comme « légale ». Cette « faute » représente pour la société clanique une difficulté qui doit être résolue. Le texte suggère deux possibilités. Marier les deux amants – c’est la solution vers laquelle le lecteur du Gn 34 croit que l’on va s’acheminer jusqu’au verset 24- ou massacrer le pêcheur et tous les siens- c’est ce qui finit par se produire aux versets 25-29.

Sichem peut quitter maintenant le banc des accusés, à son sujet la cause est entendue, il a fauté avec la fille de Jacob et a cherché à régulariser sa situation. Malheureusement pour lui, son destin fut entre les mains de , Siméon et Lévi qui décidèrent de lui ôter la vie.

 

Le crime de Siméon et Lévi, éléments à décharge. 

Pour savoir si le massacre opéré par Siméon et Lévi est condamnable, nous allons d’abord écouter les témoignages à décharge, favorable aux deux frères.

Les motivations de Siméon et Lévi

Les motivations du massacre des habitants de la ville sont clairement expliquées par une formule récurrente insistant sur la souillure subie par Dina, « sa fille » ou « leur sœur ». Le terme hébreu traduit par « souillure » provient d’une racine « tm’ » laquelle désigne l’impureté rituelle. La logique du récit vient d’ailleurs le confirmer, puisque c’est un rituel (celui de la circoncision) qui seul serait en mesure de lever l’impureté.

A la fin du texte, après les remontrances de Jacob, Siméon et Lévi se justifient en disant que l’on ne peut traiter leur sœur comme une prostituée. On ne peut donc admettre ni qu’elle soit souillée ni qu’elle soit vendue.

On constate à nouveau que ce n’est pas le fait que Dina ait subi la violence qui pose problème mais qu’elle ait eu une relation sexuelle avec quelqu’un d’ impur. Si Siméon et Lévi ont voulu rétablir quelque chose, ce n’est pas la dignité d’une femme violée mais la pureté de leur sœur. Est-ce une bonne chose ? Il faudra y revenir. Quoi qu’il en soit il est certain que celui qui rédige les notices de cette souillure au verset 5b, 13b,27b et la réponse de Siméon et Lévi au verset 31 le pense.

 

Pourquoi attaquer deux fois la ville ?

Une lecture attentive de la dernière partie du texte montre que les deux attaques distinctes de la ville se produisent. Aux versets 25 et 27, Siméon et Lévi entrent, massacrent Hamor, Sichem et tous les mâles, reprennent Dina et sortent. Aux versets 2è et 29, les fils de Jacob dans leur ensemble pillent la ville et emportent un gros butin. On pourrait penser qu’après le premier massacre commis par Siméon et Lévi, les autres frères se soient dit que tant qu’à faire, il était dommage de ne pas emporter de butin, revenant donc sur les lieux afin de s’enrichir.

La mention de cette deuxième phase de combat permet d’associer les frères à l’action de Siméon et Lévi. On peut penser que l’auteur des versets 27 et 29 porte un regard favorable sur le massacre des Sichémites, dont tout Israël endosse la responsabilité. Il s’inscrit dans la droite ligne des notices expliquant la colère des frères par la « souillure » subie par Dina. Le verset 27b le fait même de manière explicite.

 

Le point de vue de Dieu

Finalement, un dernier élément vient justifier la position de Siméon et Lévi, c’est le soutien que Dieu  leur accorde indirectement. En effet, après les craintes exprimées par Jacob d’une vendetta (34,30), la protection accordée par dieu au clan et la terreur qu’il sème dans les villes avoisinantes peuvent être interprétées comme une approbation.

 

Le crime de Siméon et Lévi, éléments à charge 

En dépit des points relevés à l’appui de l’attitude de Siméon et Lévi, d’autres aspects du texte vont dans un sens radicalement différent et peuvent être considérés comme des éléments à charge.

 

La logique du récit

Tout d’abord, il faut relever que le fil conducteur du récit est extrêmement défavorable à Siméon et Lévi. Aux versets 2-3, Sichem a une relation illégitime avec Dina, la fille de Jacob. Suite à cela, des négociations de mariage s’engagent entre d’une part, Jacob et ses fils, et d’autre part, Hamor et Sichem. On y trouve le thème de la dot, ainsi que celui de l’inter-mariage entre les deux communautés, lequel implique le rituel de la circoncision. Les Sichémites se soumettent de bon gré aux exigences de Jacob et ses fils. Au verset 24, l’affaire semble dès lors aboutir à un « happy end ». La légitimité de la relation entre Sichem et Dina est rétablie puisque la fille de Jacob est en mesure d’épouser un circoncis.

Le verset 25 fait dès lors l’effet d’un coup de théâtre puisque deux fils de Jacob s’opposent radicalement au résultat négocié et par là, au consensus familial. La violente réaction de Siméon et Lévi non seulement met la ville sens-dessus-dessous mais vient radicalement, renverser l’ordre familial. Le père de famille, Jacob voit son autorité remise en cause par ses deux fils . Sa crédibilité même en est affectée puisque, en tant que père de famille, il était le garant du résultat de l’accord. Dans une société clanique, le renversement de l’ordre traditionnel est totalement inacceptable. Jacob ne peut subir cette situation sans réagir avec la plus grande fermeté. Le lecteur peine à comprendre sa faiblesse. Siméon et Lévi ne perdent pourtant rien pour attendre, puisque dans le discours adressé par Jacob à ses fils sur son lit de mort, sa sanction et sa colère apparaissent enfin au grand jour.

 

Le témoignage de Jacob

Gn 49,5-è présente le texte suivant : « (5) Siméon et Lévi sont frères, leurs coutelas sont des instruments de violence. (6) Que ma vie ne vienne pas dans leur conseil, que mon être ne s’unisse pas à leurs assemblées, car dans leur colère, ils ont tué des hommes et par leur volonté, ils ont mutilé des taureaux. (7) Maudite est leur colère car elle est féroce et leur débordement est violent. Je les répandrai en Jacob et je les disperserai en Israël ».

Cette malédiction est proférée à l’égard de Siméon et Lévi et peut difficilement être dissociée du récit de Gn 34 puisque l’association Siméon-Lévi n’apparaît dans aucune autre tradition vétérotestamentaire. E plus, la malédiction proférée en 49,7 semble difficilement compréhensible en-dehors de Gn 34.

Au niveau thématique, la violence dont parle GN 49, 5-6 ne peut que rappeler celle du premier massacre (Gn 34, 25-26). En effet, on trouve la phrase « ils tuèrent tous les mâles » (34,25b). Or, le terme hébreu pour « mâle », « zakar », peut désigner à la fois les mâles humains et les mâles animaux, des hommes et des taureaux. De plus la présentation du raid au verset 25 comme massacre gratuit, sans butin, est soulignée par les reproches formulés en 49,6b, où est mentionné la mutilation volontaire des taureaux. Cet acte de guerre purement barbare, consistant à couper les jarrets de l’animal et de le laisser crever sur place, serait contre-productif dans une optique de pillage. Le caractère cruel de Siméon et Lévi est corroboré par le vocabulaire utilisé en 49,6b. En effet, l’association de « l’homme », « îsh, avec le « taureau », « shôr », constitue une caractéristique du vocabulaire utilisé par les descriptions du massacre des ennemis « voués  à l’interdit ». En Jos 6,21, 1S, 15,3 et 22,19, l’homme ouvre la liste des humains tués et le taureau, celle des animaux qui subissent le même sort.

Les actes qui sont reprochés à Siméon et Lévi en Gn 49,5-7 font donc clairement allusion à l’extermination sans butin décrite en Gn 34,25.

C’est ainsi qu’au moment où Jacob transmet à ses fils ses dernières paroles (GN49), les deux fils qui avaient cherché à prendre la place de leur père dans la direction politique du clan se voient reprocher leur barbarie et sont déchus, maudits et dispersés en Israël (Gn 49,7b).

 

Jugements contradictoires 

A propos du crime de Siméon et Lévi, nous avons pu constater que deux opinions contradictoires se côtoient dans le texte biblique. La première, qui insiste sur la « souillure » subie par Dina et au-delà du clan de Jacob, justifie un massacre attribué à tous les fils de Jacob. La seconde souligne la violence inacceptable de ces deux fils, qui s’opposent à un mariage pourtant dûment négocié.

On peut penser que la présence de ces deux regards divergents s’expliquent par le fait que le texte Gn 34 fut rédigé en deux temps.

Le récit primitif ne comportait pas la mention du deuxième massacre mais s’arrêtait vraisemblablement au moment où Siméon et Lévi ressortaient de la ville. La suite logique de ce récit se trouvait alors dans le testament de Jacob en Gn 49. Ce texte de base considérait qu’un mariage avec un habitant du pays était parfaitement naturel à condition que celui-ci fut circoncis. L’attitude intransigeante de Siméon et Lévi passait alors pour cruelle et condamnable.

Dans un deuxième temps, un correcteur a voulu justifier l’attitude de Siméon et Lévi en introduisant le thème de la souillure, inacceptable de la sœur (34, 5a.7.13), en ajoutant l’épisode du pillage par les frères (versets 27-29) et en insérant le dialogue final entre Jacob et Siméon et Lévi (versets 30-31).

Derrière ces regards contradictoires posés sur Siméon et Lévi se profilent deux attitudes fondamentalement différentes . L’une conciliante reconnaît l’amour des deux amants et veut régulariser la situation. L’autre intransigeante préfère tout détruire. Personne ne dit que Sichem et Dina ont bien fait d’entretenir une relation extra-conjugale mais dans un cas cela se règle par une négociation alors que dans l’autre, nul arrangement n’est possible.

La différence d’attitude s’explique me semble-t-il par le statut différent que l’on attribue à la règle interdisant la relation sexuelle mentionnée. Dans un cas, la violation de cette loi n’est pas très grave et l’on peut fort bien s’en accommoder. Dans le second, elle est gravissime et nécessite la peine capitale.

Dans tout système législatif, il est nécessaire de placer les fautes sur une échelle de gravité afin de distinguer le chapardage du meurtre. Derrière Gn 34 se profilent donc deux regards radicalement opposés sur la gravité de la faute de Sichem. L’attitude conciliante considère que la relation sexuelle n’est pas admissible hors mariage. Dans une société qui ne connaissait pas de contraception efficace, un tel interdit est bien compréhensible afin d’éviter que des filles-mères ne se retrouvent sans ressources. Dès lors, l’interdit est transgressé, la meilleure solution est de permettre – voire d’obliger- les amants à convoler. A l’opposé, l’attitude intransigeante n’admet en aucune façon qu’une israélite se souille avec un Cananéen, fût-il prince.   La préservation de la pureté de la famille, de la race de Jacob, justifie les sanctions les plus violentes, voire la guerre.

Ce débat à l’intérieur du texte, entre opposants et partisans du mariage entre Dina, fille de Jacob et Sichem, prince cananéen du pays, fait penser à celui qui se déroula à l’époque d’Esdras et de Néhémie. Esdras et Néhémie cherchent à interdire le mariage entre personnes issues du peuple du pays, vivant en Judée sans appartenir à la communauté « orthodoxe » des descendants des exilés. Face à eux, toute une partie de la population judéenne de l’époque pratique abondamment les mariages avec les gens du pays, tout en posant certaines conditions, en particulier celle de la circoncision (Esd 9-10).

On peut même faire un pas de plus et remarquer à quel point ce type de conflit entre attitude conciliante ou intransigeante face aux mariages inter-ethniques est actuel, à peu près partout dans le monde. Le débat est éminemment sensible et l’on se gardera de formuler un jugement péremptoire et définitif à la fin d’un si bref parcours exégétique. Cependant quoi que l’on puisse penser des mariages mixtes, à la fin de GN34 il y a surtout des perdants, comme à la fin des conflits ethniques : à la jeune femme dont le vie est brisée et qui finit parmi ses frères devenus meurtriers de son amant, aux veuves des habitants de la ville, à tous ceux qui sont morts, personne n’avait demandé leur avis sur l’idéologie de la pureté de la race…. Peut-être avaient-il s des choses à dire ? « 

 

Genèse 48.

(…. )

21. puis Israël (Jacob) dit à Joseph : Voici que je vais mourir mais Dieu sera avec vous et vous ramènera au pays de vos pères.

22. Pour moi, je te donne un Sichem de plus qu’à tes frères, ce que j’ai conquis sur les Amorites par mon épée et par mon arc.

 

Genèse 49.

1.Jacob appela ses fils et dit : Réunissez-vous, que je vous annonce ce qui vous arrivera dans la suite des temps.

2.Rassemblez-vous, écoutez, fils de Jacob, écoutez Israël votre père.

3.Ruben, tu es mon premier né, ma vigueur, les prémices de ma virilité, comble de fierté et comble de force

4.un débordement comme les eaux : tu ne seras pas comblé car tu es monté sur le lit de ton père alors tu as profané ma couche contre moi.

5.Siméon et Lévi sont frères, ils ont mené à bout la violence de leurs intrigues.

6.Que mon âme n’entre pas en leur conseil, que mon coeur ne s’unisse pas à leur groupe, car dans leur colère ils ont tué des hommes, dans leur dérèglement, mutilé des taureaux.

7.Maudite leur colère pour sa rigueur, maudite leur fureur pour sa dureté. Je les diviserai dans Jacob et les disperserai dans Israël.

8.Juda, toi, tes frères te loueront, ta main est sur la nuque de tes ennemis et les fils de ton père s’inclineront devant toi.

9.Juda est un jeune lion ; de la proie, mon fils, tu es redouté ; il s’est accroupi, s’est couché comme un lion, comme une lionne : qui le ferait lever ?

10.Le sceptre ne s’éloignera pas de Juda, ni le bâton de chef d’entre ses pieds jusqu’à la venue de celui à qui il est, à qui obéiront les peuples.

 

(….)

 

SICHEM existe toujours en Cisjordanie: c’est le village des Samaritains, ni juifs ni arabes, et dans la langue de là-bas, ce nom est un verbe qui signifie « charger et décharger le dos de l’âne ». Il s’y trouve un puits, dit le puits de Jacob, où a eu lieu une rencontre de Jésus avec la Samaritaine (Nouveau testament : Jean 4).

(…) 5. Jésus arrive à une ville de Samarie appelée Sychar (ex-Sichem), près de la terre donnée jadis à Jacob à son fils Joseph. La se trouve le puits de Jacob. (…)

7. Une femme de Samarie arrive pour tirer de l’eau au puits. Jésus lui dit : Donne-moi à boire ». 

8. Ses disciples en effet, s’en étaient allés à la ville acheter des provisions.

9. La Samaritaine lui répondit : Comment, tu es juif et tu me demandes de l’eau à moi, une Samaritaine ? (les Juifs en effet n’ont pas de relations avec les Samaritains).

10. Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de dieu et qui est celui qui te dit,  donne-moi à boire, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive »

11. Seigneur, lui dit-elle, tu n’as rien pour puiser. Le puits est profond. Où la prends-tu donc l’eau vive ?

12. Serais-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et y but lui-même, ainsi que ses fils et ses bêtes ?

13. Jésus lui répondit : Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif. L’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle » (…)

 

Elle lui demande cette eau à boire pour ne plus avoir à puiser. Il lui dit tout ce qu’elle a vécu dans sa vie. Elle raconte cela au village à tous les Samaritains qu’elle rencontre et tous reconnaissent en lui le Messie.